C’est rare que je fasse un billet en réaction d’un sujet d’actualité, mais pour cette fois-ci, je vais faire comme Nelson Dumais, en faisant à mon tour mon coming out parce que le sujet en question, soit l’intimidation à l’école me concerne moi aussi, même si mon cas était dénué de violence physique et de menaces sérieuses.
Pour les Européens qui ne le savent peut-être pas de quoi je parle : Cette semaine, l’intimidation chez les jeunes à fini par tuer une jeune fille de 15 ans, Marjorie Raymond, qui fréquentait une école secondaire de la Gaspésie. Cette nouvelle a ébranlé tout le Québec, d’autant plus que cette fille, qui était pourtant jolie, avait laissé une lettre de 4 pages, où sa décision de s’enlever la vie était directement liée aux années d’intimidation qui ont fini par lui crever la balloune qui frisait déjà son point de rupture. Vous trouverez facilement des articles à ce sujet sur Cyberpresse, TVA Nouvelles et Radio-Canada.
Or, à chaque fois que j’entends ou lis une histoire d’intimidation, j’ai toujours ce sentiment de me reconnaître chez ces jeunes qui sont soit « trop nerd », « pas bien habillé », « pas d’ici » ou quelque autre raison qui motive les brutes et les « bitch » à les écoeurer, les harceler, les bousculer, les battre et/ou les taxer. Et bien souvent, si on échappe au suicide, on n’en sort pas sans séquelles.
…et je fais partie de ceux qui se faisaient écoeurer à l’école.
Celle qui ne savait pas c’était quoi un « chum »
Quand tu as déjà une déficience de la vue et qu’on a déjà soupçonné de l’autisme parce que tu étais souvent dans la lune, alors que tu caches peut-être un TDA(H) (dont je suis déterminée à en avoir le coeur net une bonne fois pour toutes) et une douance non détectée (si au moins le test de la MENSA n’était pas si loin…) et que t’as des anxieux dans ta famille, t’es déjà à risque au départ.
Puisqu’on me croyait avec des traits autistiques, j’ai fait ma prématernelle dans un groupe d’enfants handicapés (où la seule autre fille du groupe était trisomique), puis j’ai sauté ma maternelle, ce qui fait que j’ai pu quand même commencer mon primaire à l’âge normal (6 ans).
Mais cela n’a pas pris de temps que les choses commençaient à se corser : Je ne savais pas c’était quoi un « chum ». Dans ma petite tête, c’était flou, donc j’ai cru un moment que un « chum », c’était un frère… donc vous pouvez imaginer les situations cocasses que ça avait causées. Et bien sûr, on ne me l’expliquait pas, parce que normalement, toute petite fille de 6 ans est supposée savoir ça… On me traitait de mongole et d’autres noms parce que j’étais différente… comme une petite geekette qui ne le sait pas encore qu’elle en est une, puisque j’étais la « petite bolle de service » qui s’intéressait aux sciences naturelles et aux maths et qui amait (et aime encore) beaucoup apprendre et avait des notes plus hautes que la moyenne. J’ai aussi eu droit à un petit morveux de maternelle qui baffait tout le monde et qui m’avait servi sa médecine même s’il était trop petit pour que ses baffes soient fortes.
Puis vers 7 ans, mes seins ont commencé à bourgeonner, ce qui fait que vers neuf ans et demi, alors que je finissais ma troisième années du primaire, j’avais mes premières règles et il fallait aller dans les boutiques pour arriver à dénicher un soutien-gorge qui ferait sur une fillette de neuf ans. Et comme si ce n’est pas déjà assez, j’ai hérité du gabarit généreux de ma mère, ce qui fait que j’avais développé des gros seins, des hanches généreuses et des cuisses fortes comme elle. La même années, lors de mes examens annuels à Québec, j’ai eu la honte de ma vie en voyant ma mère parler du fait que j’imitais les petits bonshommes fâchés à plat ventre frappant le sol. À partir de là, je ne l’ai plus jamais refait, puis l’anxiété sociale s’est mise à s’amplifier. Je commençais alors à avoir peur d’avoir l’air nouille et qu’on me juge pour une bêtise… Et à chaque fois que je me rendais compte d’une connerie que j’ai faite, j’en avais honte et ça n’a fait qu’amplifier cette anxiété qui n’a été diagnostiquée qu’à 25 ans.
Donc, durant le deuxième cycle du primaire où j’ai enfin commencé à avoir une définition plus précise de ce qu’était un « chum », non sans me mettre dans l’embarras plus qu’une fois avec le béguin que j’avais pour un garçon assez cool de ma classe, les remarques sur mes courbes ont commencé. On s’est mis à me demander comment j’avais fait pour avoir des gros seins aussi tôt et c’est à partir de là que ma mère s’est mise à m’habiller avec des chandails et T-shirt amples, pour camoufler les formes. On me disait aussi que j’avais un « gros cul » parce qu’en 5e année, j’étais la seule à avoir déjà fini sa puberté alors que certaines commençaient à peine à bourgeonner.
On répétait mes mimiques et réactions, ce qui avait pour effet de me mettre sans connaissance et il m’arrivait de péter une coche, mais sans jamais frapper, par peur que mes parents me disputent.
De plus, alors que j’arrivais à prendre l’autobus pendant que j’étais à la première école où j’ai fait la majorité de mon primaire (1re à la 5e année), c’en était tout autrement après le déménagement (mon père voulait se rapprocher du boulot). Dès ma première journée à la nouvelle école, malgré la présence du brigadier, des morveux me donnaient des jambettes (croche-pied) au moment où c’était le temps pour moi de débarquer de l’autobus pour revenir à la maison. Résultat : Le lendemain, ma mère me connduisait à l’école, puis pour la suite, j’avais un transport personnalisé jusqu’à la fin de mon secondaire.
Tout cela n’a eu rien pour m’aider dans mon anxiété.
Celle qui restait avec les « misfits »
J’entrais donc au secondaire, traînant mon anxiété grandissante et ma nerditude, et dès la première année, j’ai pété une première coche car on me traitait d’alcoolo, de droguée et de lesbienne, et les garçons en particulier étaient dans le coup ! Pendant que les filles de mon âge regardaient les feuilletons et autres séries de filles, moi mes intérêts étaient assez nerd. Sans jamais sacrifier mes études, je préférais jouer aux jeux vidéos RPG et regarder les animes de ce temps-là, plutôt que de faire la dinde regardant le feuilleton en vogue, et j’étais (et le suis toujours) aussi habile en maquillage qu’une geekette typée et je ne sais toujours pas faire une natte. La mode ? Je ne savais jamais c’est quoi qui était tendance ! …mais je n’ai par contre pas échappé à la vague Backstreet Boys (sic), et on m’agaçait avec ça, même si ce trip a contribué à ce que je ne me fasse plus traiter de lesbienne pour le reste du secondaire.
En secondaire 2, j’ai eu mon premier vrai petit-ami (alors que j’étais ENFIN venue à bout d’avoir une définition claire de « chum »), mais cela n’a duré que 2 mois, puisque les ragots et le côté envahissant de ce garçon ont fait que j’ai eu beaucoup de crises d’angoisse. Puis lorsque j’ai rompu, en lui redonnant symboliquement ce qu’il m’avait donnés, j’avais au moins du stress en moins et je m’étais alors dit que je n’aurai pas d’autre « chum » pour un bon bout… et mon célibat dure toujours car j’ai peur de revivre les mêmes angoisses.
Mais même si j’étais contente qu’on ne me traitait plus de lesbienne, cette relation a quand même continué de me hanter pendant 2 ans, car on m’écœurait avec ça avec cette foutue phrase « Tu sors-tu encore avec *nom du gars* ? ». Sans compter qu’il y avait une fille assez sournoise dans ses bitcheries et ses à-croires, ainsi qu’une fille « grande gueule » qui me lançait des pointes également… ainsi que les lançages de morceaux de gommes à effacer pendant que le prof avait le dos tourné !
Ce spectre de la relation a cessé de me hanter quand une amie d’enfance est entrée à la polyvalente en cheminement, alors que je commençais mon secondaire 4. Comme elle subissait de l’intimidation, on s’est tout de suite mises à nous tenir ensemble ainsi qu’avec une autre fille peu populaire (à cause de son bégaiement) et nous nous amusions à bitcher mon ex pour nous défouler… Bin oui, à force de se faire bitcher, ça finit par déteindre sur nous et on se met à sortir le méchant quand quelqu’un est con…
Et finalement, en secondaire 5, je me faisais embêter par mes voisines de casier à grands coups de « vite vite vite » ce qui, là aussi, me mettait sans connaissance ! Mais le pire a été lors de la messe précédant le bal de graduation. À la fin de la messe, tous les finissants devaient aller en avant pour chanter la chanson « Place des Grands hommes » de Patrick Bruel. Tout le monde avait eu une feuille… sauf moi ! C’était comme un coup de poignard pour moi et j’ai quitté la scène, en larmes. La crise d’angoisse, où j’avais des pensées noires, a été longue à calmer et ça m’a valu une crise de migraine… heureusement que j’avais mes triptans, sinon c’était foutu !
C’était la dernière fois qu’on m’écœurait ouvertement, puisqu’au cégep, la mentalité est totalement différente, où on n’est plus des gamins, mais des adultes capables de s’auto-modérer. Mais quand je repense à ce que je vivais au secondaire, je regrette parfois de ne pas avoir fait comme mon frère (qui se faisait intimider lui aussi, à cause de son TDAH), soit de passer outre la craindre de me faire discuter en donnant une bonne raclée à l’un de ceux qui m’écœuraient, pour leur signifier d’arrêter.
Et les ressources ? Bien sûr, il n’y avait ni Gris-Québec, ni la Fondation Jasmin Roy. Les visites chez la psychologue étaient mitigés : ils n’ont jamais pensé à la thèse du trouble d’anxiété, il a fallu que je demande une réévaluation psychiatrique pour le savoir ! Je m’étais déjà tapée une visite au local PASS et quelques visites chez le directeur suite à mes pétages de coche…
Et aucune fois, on ne m’a dit de m’affirmer… on me disait toujours d’ignorer, ignorer, ignorer… alors que justement, ignorer est considéré pour l’intimidant comme un consentement ! On ne m’a jamais réellement supportée pour une démarche pour me sortir de là !
10 ans après
Avec tout ce que j’ai vécu, j’en suis sortie avec une très faible estime de soi et une peur panique d’être jugée, et le fait que ça ne fasse que bientôt trois ans que j’ai eu le diagnostic de troubles d’anxiété sociale a fait que cette phobie a eu le temps de s’intensifier au gré des expériences difficiles sur le Web. Il a fallu que quelqu’un me gueule dessus pour avoir pris la défense de quelqu’un que je connais qui a un chat dégriffé, pour que je développe une peur panique et du cynisme vis à vis la cause animale. J’ai failli quitter le monde du libre parce que quelqu’un d’Ubuntu-fr me gueulait dessus pour une histoire de campagnes pour les maladies orphelines… Tout cela me rappelait inconsciemment l’intimidation que je vivais.
Donc oui, c’est pour ça que je fais des « kernel panic » quand par exemple on critique ma news de façon sèche comme ça vient de m’arriver ou quand un truc qui peut vous paraître anodin me met dans tous mes états …et que parfois, je bascule dans le rôle de l’intimidante quand je suis en colère contre quelqu’un qui m’a fait mal et que dans ce cas, je me mets à lances des pointes.
Même s’il m’en reste encore beaucoup à faire, j’assume mieux mon côté geekette depuis que j’ai développé un intérêt marqué pour l’informatique.
Si j’ai des enfants
Avec tout ce que j’ai vécu, si j’ai des enfants, je n’hésiterai pas à leur dire que je serai à l’écoute s’il se font écœurer (ce que je ne souhaite pour rien au monde), et de ne jamais s’en prendre à un camarade qui ne leur a rien fait. Et surtout, je m’assurerai que mes filles sachent la définition de « chum » quand elles entreront en première année !
Je finis ce billet en offrant mes condoléances à la famille de Marjorie Raymond, et en souhaitant que cette jeune fille repose en paix et veille sur sa famille.
Mots-clefs : école, intimidation, témoignage
Nous avons aussi ce genre d’affaires en France et on parle de plus en plus des problèmes d’intimidation à l’école (ou de harcèlement). J’ai subi ça au collège, moindrement au lycée. Au collège, mes professeurs étaient parfaitement au courant mais n’arrivaient pas à réaliser l’importance du problème. C’était méconnu. On ne savait pas ce qu’était la phobie sociale et la phobie scolaire en France. On commençait seulement à en parler quand je suis entrée en seconde ou en première et j’avais envie de tuer certains psy qui parlaient à la télé car ils osaient dire que c’était juste une angoisse de séparation avec la mère, alors que la plupart des gens que je connais et qui ont ce problème ont subi des violences psychologiques, voire physique, qui les ont fait passer d’adolescents « normaux » à phobique.
Au collège, à cause de mes « amies » qui faisaient des réflexions sur mon physique, ma façon de m’habiller, mes goûts, mon avenir, mes résultats scolaires, j’ai commencé à développer des troubles d’anxiété, quasiment paranoïaque, et il m’arrive encore d’avoir des crises d’angoisse sur des choses assez futiles. Durant la fin du lycée, je cumulais des mois d’absence scolaire en mettant bout à bout mes jours d’absence depuis le collège. Un de mes profs croyait que j’avais une maladie grave. Parfois, je tombais dans les pommes lors des cours quand on parlait de sujets angoissants et sinistres (maladies en SVT, affaires judiciaires glauques, hôpitaux…). Ce n’était pas les sujets en eux-même qui m’impressionnaient. Je crois que ça faisait simplement surgir d’autres problèmes que je n’arrivais pas à exprimer et qui restaient au niveau inconscient. Depuis quelques années, ça ne me fait plus rien… sauf si je suis justement angoissée et que ça ne veut pas sortir. C’est comme un déclencheur.
Avec la fac et ma réussite dans mes études, j’ai commencé à reprendre confiance en moi. Je pense pouvoir dire que je suis quasiment « guérie ». Même si parfois je raisonne comme une parano (comme hier, justement), j’arrive à me raisonner. Cependant, je note que plus le temps passe, plus je deviens « dure ». La dernière fois, on parlait de stalker à la télé et je me suis dit que le mec qui me ferait ça se prendre une batte dans les couilles avant de pouvoir me faire du mal (les personnes victimes de stalking ne sont pas protégées en France…).
Moi, je n’en suis pas encore rendue à ce point, d’autant plus qu’il me manque encore une pièce dans mon puzzle. En effet, en discutant avec deux amies qui ont eu le diagnostic de TDAH (Troubles du déficit d’attention avec hyperactivité), je me suis rendue compte que j’ai plusieurs de leurs symptomes : Bougeotte des jambes et des mains quand je suis immobile ou assise, oublis non liés au stress (ex: Sortir le chien dehors puis me faire un café, puis redescendre avant que le chien ne jappe, parce que j’avais eu le temps de l’oublier), tendance à l’impulsivité et à être queue de veau, problème de patience, saturation au bout d’une vingtaine de minute quand je me concentre sur quelque chose (sauf si je fais un truc que j’aime). Donc j’en suis à me demander si je suis hyperactive moi aussi, d’autant plus que j’ai des antécédants familiaux puisque mon frère est lui-même hyperactif et qu’il y a aussi des hyperactifs du côté de la famille paternelle.
Or, personne n’avait eu de doutes dans mon cas puisque j’avais de très bonnes notes quand même, quand on sait que les enfants TDAH ont souvent des difficultés à l’école. C’est ma soif d’apprentissage qui m’a fait passer au dessus de ça. Et aussi, si je regarde les jeunes adultes de ma génération, c’était surtout les garçons qui étaient diagnostiqués tôt, les filles tendent à ne l’être que tardivement, comme ça a été le cas des deux amies en question (21 ans pour l’une, 24 pour l’autre).
Et quand on traîne un TDAH sans le savoir durant tout le parcours scolaire, en est plus à risque de subir de l’intimidation et de développer de l’anxiété sociale car dans ce cas, on se sent différent à cause de ces bougeottes, de son impulsivité et de sa tendance à être dans la lune.
Donc j’en suis à justement demander de l’information à ces deux amies pour connaître les démarches à faire pour me faire évaluer, car s’il s’avère que je suis belle et bien hyperactive, ça va expliquer bien des choses.
Tres touchant. Je suis arrive ici en ricochant depuis ton travail sur les thèmes PHBB, et je tombe sur un blog sincère… enfin bon y’a pas grand chose a rajouter. Merci a toi
Je ne connaissais pas du tout ce genre de « troubles psychologiques », désolée pour l’expression, je ne trouve pas mieux. Les gens feraient mieux de regarder chez eux avant de regarder chez les autres. Comme toi, mais dans une moindre mesure, j’ai eu à faire face à l’adversité de la différence. J’ai eu la « chance » que les critiques de ces personnes si parfaites n’ont commencé qu’au collège, ce qui m’a permit d’être un peu plus stable face au regard des autres mais du coup ma solution a été, comme tu as pu le voir sur mon blog, de me créer une carapace par rapport au monde extérieur. Et je pense que c’est grâce à l’informatique que l’on s’en sort à peu près bien toutes les deux : un métier, une passion et un moyen d’expression qui permettent de « sortir de son trou » et d’aller vers les autres. J’espère qu’un jour, plus personne n’aura à souffrir de la différence et puis la différence des gens c’est ce qui constitue notre identité et toute la richesse de l’humanité. Contrairement à d’autres, je me suis enrichie en te « rencontrant » ! Merci pour ton témoignage.